S’unir contre l’ignorance, la défiance, la menace et les attaques , pour notre indépendance et pour mieux nous protéger.

III.1.Reprendre conscience de notre culture pour retrouver notre confiance et ne pas se replier sur nous-mêmes

Cette culture ainsi « approchée », pour ne pas dire définie , a survécu à de multiples conflits. Elle a fondé la civilisation européenne. Cependant, il faut garder en mémoire cette parole de Paul Valéry au lendemain de la première guerre mondiale, « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »1 Et le risque mortel aujourd’hui c’est celui du repli identitaire qui augmente à mesure que l’économie n’assure plus le bien-être matériel du plus grand nombre.

III.1.1Une culture opposée au repli identitaire.

Qu’il s’appuie sur la nation, la race ou la religion, le discours identitaire fait toujours appel à des caractères réputés assurer l’homogénéité d’un groupe auquel ceux qui en font partie s’identifient facilement à l’exclusion des autres, accusés de tous les maux. Bref, les boucs émissaires sur lesquels sont projetés ni plus ni moins que l’ignorance de ceux qui les condamnent. Le mélange, le métissage sont perçus comme un brouillage de ces caractères. Voire une « pollution », un « virus », un « cancer » pour les plus extrêmes. On pense n’être plus identifié, identifiable à mesure que l’étiquette que l’on s’est choisie devient moins lisible à cause des autres qui ne sont pas « conformes ». « On n’est plus chez nous » ou sa variante plus glamour « Pas de ça chez nous » entendra-t-on alors. Et l’on comprend que lorsque des individus ou des groupes ont choisis pour s’identifier des clichés simplistes, des arguments à l’emporte-pièce, des slogans populistes vociférés avec force effet de manche ou de menton, ou, pire, des actes de sauvagerie le tout pour restreindre l’expression de la liberté des « autres » d’aimer, de savoir ou de faire, alors c’est toute la dynamique de la culture européenne qui est mise à mal, toute sa civilisation qui vacille.

III.1.2Une culture qui se nourrit d’échanges avec les autres cultures.

Il ne s’agit pas de dire qu’aujourd’hui ces raisons proviennent d’un quelconque « choc des civilisations »2 pleinement conscientes d’elles mêmes, opposant violemment valeur civilisationnelle contre valeur civilisationnelle. L’ignorance est au contraire au cœur du problème. Qui appelle à un travail de fond sur le plan culturel. Je reprends pour l’affirmer ce que Edward W. Saïd, autre intellectuel humaniste, co-fondateur avec Daniel Barenboïm du divan occidental-oriental, a déclaré dans la préface de son ouvrage « L’Orientalisme » en 2003 : « Loin d’un choc des civilisations préfabriqué, nous devons nous concentrer sur un lent travail en commun de cultures qui se chevauchent, empruntent les unes aux autres et cohabitent de manière bien plus profonde que ne le laissent penser des modes de compréhension réducteurs et inauthentiques. »3

La société a besoin de la stabilité et de la confiance entre ses membres et dans l’avenir qu’apportent la paix, la justice et la prospérité économique. Mais, l’effet néfaste sur l’emploi que la succession des crises économiques que la France, et une grande partie de l’Europe occidentale, traversent depuis le premier choc pétrolier en 1973, ainsi que la crise sans précédent liée aux millions de réfugiés qui souhaitent aujourd’hui migrer en Europe, ont entamé la confiance de nombreux citoyens dans leurs représentants et leur politique au point de faire monter un électorat qui soutient des idéologies ancrées sur des bases identitaires contraires à la culture européenne. C’est pourquoi notre société a surtout aujourd’hui besoin d’une conscience, d’un ciment que seule la culture peut lui donner. Seul ce travail culturel, qui nécessitera une réflexion approfondie sur notre système d’enseignement, de formation et d’accès à l’information nous redonnera la confiance suffisante pour faire face aux funestes menaces internes et externes qui nous affectent.

Il est donc urgent de prendre conscience de ce «lent travail en commun de cultures qui se chevauchent, empruntent les unes aux autres et cohabitent » pour parer aux guerres ou aux conflits intérieurs et extérieurs qui, se fondant sur de mauvaises raisons culturelles, ne visent qu’à défendre l’intérêt personnel de ceux qui les initient et les dirigent contre la France et l’Europe

Car de plus en plus en France et en Europe, non seulement ce ciment s’effrite car il est travaillé de l’intérieur mais il est attaqué, menacé ou défié depuis l’extérieur, et cela de plusieurs manières. Toutes s’appuient à la fois sur un fond identitaire très puissant, aux modes de compréhension « réducteurs et inauthentiques », et tantôt sur le crime, l’autoritarisme ou la corruption, quand ce n’est pas un cynique mélange des trois. Actuellement les menaces directes nécessitent de lutter sur plusieurs fronts.

III.2.Lutter contre les auteurs de crimes « jihadistes »4 qui se revendiquent d’une lecture « véridique » ou « authentique » de ce qu’ils interprètent comme étant l’Islam.

III.2.1Favoriser la pluralité des questionnements, des lectures et des expressions religieuses de l’Islam non totalitaire.

A propos de l’Islam et de tous les débats qu’il suscite en particulier en France, il faut être bien naïf, influençable ou provocateur pour croire ou faire croire un seul instant que le Coran et d’autre textes fondateurs de l’Islam parlent d’eux-mêmes. Cela vaut d’ailleurs pour la Bible ou les Évangiles : l’interprétation des textes s’impose, et les outils de la recherche scientifique et des sciences humaines sont une formidable opportunité de développement intellectuel et spirituel pour tous les hommes de foi, et non, dans le cas de l’Islam en particulier, une atteinte à une pureté originelle qui n’a jamais existé historiquement. La voie islamiste qui tente de figer le sens des textes une fois pour toutes est tout simplement une voie totalitaire, fermée et à terme funeste. Elle peut rassurer les esprits les plus inquiets, donner l’illusion d’une perfection aux plus idéalistes, elle évite surtout le questionnement en apportant des réponses toutes faites qui non seulement emprisonnent ses adeptes, les coupent de leur milieu d’origine et surtout peut les rendre violents envers ceux qui ne la partagent pas.

A contrario, les nouveaux penseurs de l’Islam dont parle Rachid Benzine ouvrent une voie salutaire dans la crise profonde et sauvage que traversent les musulmans à travers le monde. En effet, leurs travaux montrent que  « l’Islam pur n’existe pas historiquement. Ce n’est pas l’Islam pris comme une entité supérieure abstraite qui enseigne, relèvent-ils, mais ce sont toujours des musulmans qui parlent. De même on ne peut pas dire de manière objective que le Coran parle car ce sont les gens qui le font parler ! Comme le proclamait le prophète Ali ibn Abû Tâlib, le cousin et gendre du Prophète, quatrième calife : « Le Coran est dans le mushaf [le recueil écrit des révélations]. Il ne parle pas de lui-même : ce sont les êtres humains qui l’expriment. »5 Et lorsqu’il s’agit de l’interprétation des textes islamiques fondateurs, l’histoire enseigne qu’elle a été figée à partir du X° siècle : « Il est vrai que depuis longtemps, et bien qu’insoutenable en théorie, le suivisme des jurisprudences aura compromis ce que les oscillations entre grands exégètes pouvaient ménager de liberté. Malgré toutes les plaidoiries contre le « conformisme » ou « culte du précédent » (taqlid), rares furent en effet, depuis le milieu du X° siècle, les recours véritables des jurisconsultes à l’«initiative doctrinale » (itjihâd), et encore plus à l’ « innovation » (tajdid), plus souvent d’ailleurs qualifiée d’ « impiété » (bid’a) que de « réforme » (islah) »6. Dix siècles qui mènent de dangereux manipulateurs à de macabres contresens opposés à « cette remarque d’évidence que la sharî’a dont se réclament aujourd’hui tant d’activistes les engage non pas au fixisme, mais au contraire à la dynamique qu’implique l’étymologie du mot. Il évoque en effet la voie, l’accès, le cheminement. » 7

III.2.2Lutter contre la propagande wahhabiste mondiale

Tout oppose l’itjihâd à l’intégrisme et au jihâd criminel dans cette tragique mue que l’Islam subit actuellement. Le wahhabisme et le salafisme, ferments avérés du jihâd criminel en Arabie et l’islamisme chiite du guide suprême en Iran conduisent à rejeter et condamner les défenseurs de l’initiative doctrinale et de l’innovation. Pour les dirigeants de ces pays, l’enjeu est de montrer aux musulmans qu’ils sont les plus légitimes défenseurs de ce qu’ils pensent être la Vérité de l’enseignement coranique, qui passe à leurs yeux par un certain nombre d’obligations et d’interdits, pour lesquels les contrevenants risquent par exemple l’amputation, voire la décapitation en place publique.

Quelques éléments permettront de prendre conscience du problème posé par « l’industrie idéologique wahhabite »8dans sa recherche d’imposer progressivement aux musulmans du monde entier, les principes d’une lecture totalitaire de l’Islam à l’exclusion de toutes les autres. En effet, les dirigeants du Royaume saoudien, ont depuis longtemps engagé une politique de propagande religieuse wahhabite à la fois dans leur royaume et dans le monde.

III.2.2.a)Ses effets destructeurs au sein de la péninsule arabique

Le wahhabisme a conduit à faire table rase de la plupart des traces d’un certain passé islamique et préislamique : destruction des mosquées de la tombe de l’oncle du prophète, de celle de la fille du prophète ; destruction du tombeau de la mère du Prophète et de celle de son père ; construction d’un bâtiment sur la maison où serait né Mahomet, sur celle où il aurait vécu à Médine, et sur celle de sa première femme  ; disparition de la première Mosquée où il enseigna. « En 1994, le mufti Abdelaziz ibn Baz, plus haute autorité religieuse du régime wahhabite, lance une fatwa stipulant qu’il n’est pas permis de glorifier les bâtiments et les sites historiques. […] Entre cinq cents et six cents mausolées et d’autres monuments de l’Islam des origines ont été démolis. 95 % des bâtiments datant de plus de mille ans auraient été rasés durant les vingt dernières années ». 9 Sur le plan de l’enseignement, le royaume a eu recours au nombre et à l’efficacité organisationnelle des Frères musulmans : « dans les années 1960, beaucoup d’enseignants Frères musulmans, chassés par Nasser, se réfugient en Arabie saoudite. Les premiers arrivent d’Égypte, d’Irak et de Syrie, suivis d’une seconde vague dans les années 1970, avec les Frères libérés des prisons de Sadate ». 10 Il serviront de cadres aux écoles et aux universités que le régime entend créer, souhaitant pour ces dernières concurrencer l’université d’al-Azahr du Caire qui « enseignait un islam progressiste « nassérien » qui conteste directement les systèmes monarchiques et l’obscurantisme du wahhabisme »11. Ainsi les trois villes de La Mecque, Médine et Djeddah rassemblent aujourd’hui « la plus forte concentration d’institutions islamiques du monde »12. Elles dispensent à des milliers d’étudiants13 du monde entier, aidés par des bourses conséquentes octroyées par le régime, des cycles d’études plus courts que de coutume et profondément sectaires, dont ils feront « bénéficier » des centaines d’institutions islamiques de part le monde: « de trois à cinq ans, et non plus quinze années autrefois indispensables pour prétendre au titre d’ouléma […] l’enseignement de la théorie du darwinisme, de Freud, de Marx, de la musique et de la philosophie occidentale n’est pas autorisé  […] la surproduction de diplômés […] conduit à exercer une pression constante pour islamiser le droit»14. Et pas seulement pour leur assurer des débouchés.

III.2.2.b)Son infiltration au niveau mondial

Cette « wahhabisation » du droit se concrétise à travers la création d’institutions dotées de moyens importants atteignant la reconnaissance internationale, meilleure gage pour dominer, neutraliser ou isoler les autres courants musulmans. La Ligue Islamique Mondiale (LIM), est ainsi créée pour concurrencer la ligue arabe de Nasser, et sous forme d’ONG afin d’en exclure les musulmans chiites, parvient a obtenir le statut d’observateur à l’ONU, et l’accréditation auprès de l’UNICEF. Elle affirme dans sa charte « Nous, États membres affirmons également notre conviction qu’il ne saurait y avoir de paix dans le monde sans l’application des principes de l’Islam »15. On voit bien la perversité du raisonnement puisqu’il faut entendre ici non pas Islam mais wahhabisme. Elle est présente dans « 120 pays et contrôle environ 50 grands lieux de culte en Europe ». Sa géopolitique mondiale lui permet de s’infiltrer la où le droit national le lui permet. Le cas de l’Angleterre est assez emblématique. En 2008, Lord Phillips, chef de la magistrature d’Angleterre et du Pays de Galles, a déclaré : « Il n’y a pas de raisons pour lesquelles les principes de la charia, ou de tout autre code religieux, ne pourraient pas être le fondement d’une médiation ou d’autres formes alternatives de résolution des conflits »16. De fait, un Tribunal Islamique Arbitral chapeaute des tribunaux islamiques, siégeant  principalement dans des mosquées, « règlent des différends financiers et familiaux en fonction de principes religieux et rendent des décisions pleinement exécutoires »17. D’autres pays d’Europe, mais aussi le Canada ont également, ou ont eu par le passé, une forme de perméabilité que la France connaît moins à l’égard des droits religieux communautaires. Une autre organisation internationale, l’Organisation de la Conférence Islamique devenue en 2011 l’Organisation de la Coopération Islamique, complète le dispositif. Sa « Déclaration des droits de l’homme en Islam [|…] soumet toute législation à la charia (art. 25) et prohibe de fait les conversions (art. 10) »18. L’OCI a une délégation permanente à l’ONU et regroupe 57 États membres. L’OCI serait à l’origine de « 90 % des dépenses de l’ensemble de la foi dans le monde musulman »19. L’Arabie dépenserait ainsi chaque année environ de 5 à 7 milliards de dollars pour propager sa propagande wahhabiste dans le monde, soit à peu près autant que ce qu’elle consacre à ses importations en armement, soit « entre deux et sept fois ce que l’URSS dépensait pour sa propagande à sa grande époque ». Comment d’autres courants pourraient lutter contre cette industrie ? Les pays d’Europe, dont une part de sa population est musulmane, doivent donc tout à la fois, s’efforcer de préserver la diversité des formes d’expressions de la foi musulmane et soutenir l’approche critique des textes de manière à permettre aux musulmans de ne pas se laisser prendre à cette idéologie totalitaire et en même temps maintenir sans faillir un droit national excluant sauf rare exception, le droit religieux communautaire, contrôler fermement les ONG et les associations recevant des fonds de l’étranger alors que celles-ci « ne font l’objet d’aucun examen de la part des autorités publiques ».20 Sur le plan international, c’est toute l’architecture de la propagande wahhabiste qu’il faut anéantir. Au « soft power américain dans la structure, soviétique dans la méthode », qui, comme le souligne l’auteur de l’ouvrage qui a servi à cette mise au point, caractérise l’industrie de la propagande wahhabite, doit répondre une stratégie claire, coordonnée et dotée de moyens appropriés de tous les États fragilisés par cette doctrine. C’est en fait à une guerre de contre- propagande, une guerre psychologique, comme au bon vieux temps de la guerre froide, à laquelle nous sommes désormais condamnés.

III.2.2.c)Le poids des hydrocarbures

Le poids de cette guerre psychologique c’est celui du poids économique et politique des hydrocarbures. C’est lui, le gage véritable des dirigeants pour augmenter leurs richesses, leurs pouvoir et garantir leur pérennité. Cette chape de plomb idéologique, confortée par d’immenses richesses, et un pouvoir de nuisance mondial, domine des États ou pseudo-États, unis dans un même rejet des valeurs occidentales et des sciences, lesquelles pourraient remettre en cause leur assise idéologique. Bien installée sur le territoire d’origine de l’Islam, celui des lieux saints, elle obère durablement dans cette zone, et par contagion dans de nombreux pays non musulmans, toute évolution de l’interprétation des textes.

III.2.3Le soufisme comme rempart à l’islam radical ?

L’enjeu de la tragédie actuelle est pourtant celui-ci : le XXI° siècle verra-t-il naître une cohésion pacifique des différentes expressions de l’Islam répondant à une nécessité intérieure et échappant à l’intérêt d’individus totalitaires ? Souhaitons qu’il en soit ainsi, et que les initiatives politiques et culturelles dans ce sens soient encouragées. Là encore, musique et danse devraient avoir une plus grande place : le succès des rencontres des traditions musicales religieuses comme celles initiées par sœur Marie Keyrouz ou plus largement encore par le festival des musiques sacrées de Fès depuis 1994, auquel elle a participé plusieurs fois avec des artistes de différentes confessions, unis par la spiritualité intérieur exprimée par la musique et la danse, montrent la direction. Ce sont des occasions d’entendre des musiques de tradition soufies qui indiquent qu’il est possible, tout en étant musulman, d’employer la musique et la danse pour exprimer son sentiment religieux, pratique du reste aussi ancienne que l’Islam lui-même contrairement au wahhabisme né au XVIII° siècle.

Faouzi Skali, un des grands spécialistes du soufisme, qui a dirigé le festival de Fès pendant vingt ans et qui y dirige maintenant celui de la culture soufie confie au Monde en mars 2015 : « Dans l’ensemble du monde musulman, de l’Asie à l’Afrique, la culture soufie est très largement majoritaire. Pourtant, son patrimoine spirituel, artistique et littéraire demeure souvent absent de la vie publique. » Et le soufisme peut, selon l’universitaire chercheur « être un rempart à l’islam radical ». Pour lui, « Défendre un patrimoine culturel soufi est une urgence qui échappe à des velléités d’instrumentalisation politique. Au fond, c’est une guerre culturelle. » Guerre qui vise entre autre l’expression musicale qui semble poser tant de problèmes aux penseurs intégristes, y compris l’expression sacrée alors même que le Coran dans sa sourate IV -163 indique que Dieu a dit à Mahomet : « Et nous donnâmes les psaumes à David »21, le Zabur, dont le 150° psaume22 fit l’objet de tant de mises en musique chez les juifs comme chez les chrétiens, et vise expressément à louer Dieu avec les instruments de musique et la danse, ce qui vaut toujours mieux que de tuer en son nom.

III.2.4Couper les têtes de l’hydre de Lerne

Qu’ils aient pour nom al Quaeda, daech, Boko Haram, les talibans, les shebab, l’hydre de Lerne que constitue cette nébuleuse terroriste appelle nécessairement des réponses multiformes sur le plan de la sécurité intérieure et extérieure. L’organisation et le mode de fonctionnement des services de renseignements français, la coopération avec les autres pays alliés sont des sujets qui appellent des efforts humains et budgétaires auxquels nous devrons souscrire. Et il sera tout autant nécessaire de déployer une diplomatie qui aura les moyens de sa politique.

III.2.4.a)Les erreurs de l’administration Bush en Irak, la faiblesse des États de droit

Aujourd’hui bénéficiaires de la protection américaine au sein de l’OTAN, la France et l’Europe sont aussi tributaires de sa puissance pour combattre daech. Mais combien de temps faudra-t-il accepter les erreurs commises par l’administration américaine au moyen-orient ? La seconde intervention américaine en Irak a été justifiée par des mensonges. Et le remplacement qui a suivi des sunnites par des chiites aux commandes de l’État irakien a conduit au résultat que « Dans les quartiers et provinces sunnites du pays, plus de 50 % de la main d’œuvre a perdu son emploi. La debaasification est vécue comme une persécution identitaire, une punition collective pour des crimes dont les sunnites ne se sentent pas forcément responsables »23. Nourrissant ainsi un peu plus la haine contre l’occupant et ravivant les luttes entre sunnites, chiites et kurdes. Et surtout ce remplacement a conduit nombre d’anciens généraux, et d’officiers de renseignements sunnites du parti Baas de Saddam a constituer la colonne vertébrale militaire de daech en se liant avec les islamistes de Al Baghdadi. Des militaires d’un pays qui sous Saddam a enchaîné plusieurs guerres : de 1980 à 1988 contre la République islamique d’Iran (entre 500 000 et 1 200 000 morts), contre le Koweit, puis contre les troupes de la coalition américaine (sans la France qui avait prudemment refusé d’y participer). Des militaires rompus aux guerres, et qui n’hésitent pas à utiliser pour daech des armes chimiques en 201524 comme ils avaient pu le faire pour Saddam en 1983.

Le terrorisme, exprimé de la manière la plus sauvage, est un élément déterminant de la stratégie criminelle de daech. Il est à craindre qu’il se développe d’autant plus que la maîtrise du terrain leur échappera. Celui-ci exploite toutes sortes de failles de nos États de droit, dont la plus importante est sans doute que la plupart d’entre eux ont des politiques de défense de type conventionnel avec une armée régulière qu’ils doivent adapter rapidement à une forme de guerre clandestine mondiale. Enfin, il exploite toutes les possibilités offertes par nos modes de production et d’échanges internationaux. Tout d’abord les terroristes auraient bien du mal à agir sans l’argent qui les fait vivre  : le trafic de pétrole, d’armes, d’œuvres d’art, de drogues25, qui s’ajoute à l’esclavage, le proxénétisme et les taxes imposées au populations soumises26. Ils auraient aussi plus de difficulté  sans les armes, les technologies, les techniques, les infrastructures, y compris celles du blanchiment d’argent, que leurs ennemis – nous, les européens en l’occurrence – ont bien de la peine à ne pas mettre à leur disposition.

III.2.4.b)La faiblesse diplomatique française et européenne, l’obstacle russe

Nous avons aussi bien de la peine à agir seuls dans la région. En 2011-2012 trois double veto russe et chinois contre des résolutions d’origines européennes à l’encontre du régime syrien, permettent à Bachar el Assad de se maintenir au pouvoir et barre la route à une aide militaire aux rebelles, voire à une intervention de l’OTAN comme ce fut permis en Libye après une résolution onusienne. En 2013 le président français n’a pu avoir le soutien du président américain pour engager des frappes en Syrie alors que Bachar el Assad avait employé des armes chimiques contre son peuple. Et cela, alors même que Barack Obama avait déclaré que cet acte constituait une ligne rouge à ne pas franchir. Le président de la République n’a donc pas agi. Tout cela en dit long sur notre capacité française et européenne à intervenir à l’extérieur selon nos intérêts. Le veto russe d’octobre 2016 à la proposition française d’arrêt des bombardements des quartiers est d’Alep, que Moscou effectue au profit du régime alaouite, fait dire au Président Obama devant deux de ses généraux sous la plume du dessinateur Petillon avec ce titre magistralement atroce « Alep, nouveau Guernica : « Ce qui nous manque c’est un artiste de la trempe de Picasso ».27

III.3.Lutter contre la politique extérieure agressive de Vladimir Poutine, et son infiltration en Europe.

III.3.1Une rivalité exprimée dans le rapport de force, et par le fait accompli.

Cette politique agressive se caractérise entre autre par des annexions : l’Ossétie du sud en Géorgie puis la Crimée. La défense de l’intérêt des russophones servant de prétexte. Mais aussi par des survols de bombardiers flirtant d’un peu trop près avec l’espace aérien européen : le 29 octobre 2014 quatre bombardiers et quatre ravitailleurs sont interceptés par l’aviation norvégienne ; en décembre 2014 des collisions sont évitées entre un appareil militaire russe et un avion de ligne de la compagnie SAS au sud de la Suède, une autre collision a été évitée de justesse avec un avion au décollage de Copenhague ; en janvier et en février 2015 deux bombardiers sont pris en chasse par l’aviation française au large des côtes bretonnes ; le 22 septembre 2016, à nouveau deux bombardiers sont pris en chasse tour à tour par les aviations norvégienne, britannique, française et enfin espagnole. Sur le plan de la mobilisation et des capacités militaires, la Russie inquiète les états baltes. Engagés dans l’OTAN, ceux-ci ne peuvent bénéficier concrètement d’un force de réaction rapide de l’Organisation qu’à hauteur de « 600 hommes en quarante-huit heures ; là où la Russie a multiplié depuis plusieurs années les exercices surprises permettant, dans le même temps, d’en déployer plusieurs dizaines de milliers »28. Même en équilibrant les forces conventionnelles, la Russie recourt a des systèmes qui visent, notamment par des moyens balistiques, à limiter les capacités d’actions de l’ennemi sur un théâtre opérationnel29. Reste la dissuasion nucléaire, qui ne s’entend que pour éviter d’utiliser le feu atomique et nécessite de montrer en permanence sa crédibilité. C’est donc une forme d’escalade, une mobilisation de coûts supplémentaires. De même en Europe du sud-est une brigade Roumaine sera convertie en brigade internationale en raison de « ce qu’il pourrait advenir de la Moldavie, laquelle est flanquée d’une Transnistrie où sont stationnés 1 500 hommes des forces russes ». A la tête de celle-ci vient d’être élu, Igor Dodon, qui « voit en Vladimir Poutine un modèle, veut « ramener l’ordre » dans son pays et y défendre les « valeurs traditionnelles », expliquait-il au Monde avant le premier tour, depuis son quartier général de campagne tapissé de clichés le montrant en compagnie du président russe ou du patriarche orthodoxe de Moscou »30. La Russie oblige ainsi l’Europe à une politique de déploiement conventionnel et de manœuvres de dissuasion nucléaire plus soutenue en temps de paix qu’elle a tôt fait de présenter comme une politique agressive de l’OTAN. Dans le dernier livre blanc de ministère allemand de la Défense, la relation avec la Russie est redéfinie : « la Russie, qualifiée de « partenaire » dans le Livre blanc de 2006, est aujourd’hui critiquée dans le débat politique pour « remettre en question l’ordre de paix européen » et « affirmer une rivalité stratégique » avec l’Occident »31

III.3.2Une recherche de grandeur qui s’accommode de corruption et de sacrifices .

La rivalité russe avec l’Europe occidentale se fonde sur une politique visant à restaurer une certaine grandeur qui s’appuie sur l’armée et la religion orthodoxe. Mais la Russie se perd dans une corruption endémique qui implique des gouverneurs de régions, des militaires et récemment le ministre de l’économie accusé d’avoir reçu un pot-de-vin de deux millions de dollars. Ce phénomène n’est pas neuf « En janvier 2001, selon le centre français de recherche sur le renseignement (CFRR), « la pègre contrôle de facto des secteurs entiers de l’administration territoriale et de l’activité économique de la Fédération de Russie […] 40 % du PIB de la Fédération de Russie »32 Depuis, la Russie est toujours classée parmi les pays les plus corrompus. Face à cela, le maître du Kremlin adopte une politique anti-corruption plutôt sélective, en clair « Poutine met en scène sa dénonciation de la corruption à des fins, politiques »33. Sur le plan de la santé publique, le « grandeur » peut se targuer de voir l’espérance de vie atteindre un niveau d’environ dix ans inférieur à la moyenne européenne, et l’état préoccupant du système de soins a suscité de grands troubles dans la population en 2014-2015 au point que le gouvernement a du faire marche arrière dans sa politique de diminution drastique du personnel soignant. Reste qu’au budget 2017 soumis à la Douma, le poste santé diminue de 18 % 34. Et la pauvreté augmente « en 2010, 12,6 % de la population (près de 8 millions de personnes) vivaient en dessous du seuil officiel de pauvreté ou revenu minimum de subsistance. On est passé , en 2015, à près de 23 millions »35 soit près de 15 % de la population. Le peuple russe a subi des horreurs pendant de longues années au cours du vingtième siècle. Ce n’est pas pour autant qu’il est condamné a perpétuellement supporter des sacrifices tant sur le plan économique que sur celui des libertés publiques. L’opposition est d’ailleurs pour le moins muselée, la liberté d’expression combattue a force argument de « lutte contre le terrorisme » ou de « blasphème », lequel peut coûter jusqu’à trois ans de prison – par l’encadrement ou l’interdiction même, des ONG, considérées comme « agents étrangers ». Ainsi le bureau d’Amnesty international, ouvert depuis vingt ans à Moscou a vu ses locaux fermer sous scellés sans préavis. La propagande officielle enfin se diffuse avec efficacité à la télévision. Le Kremlin a toute latitude pour appuyer sa politique sur un renforcement du rôle de l’armée grâce à laquelle Vladimir Poutine peut marquer des points sur la scène internationale et ainsi en profiter sur le plan intérieur. Stratégie qui semble porter puisque le président peut se targuer d’un large appui populaire. L’autre pilier est l’Église orthodoxe russe que Vladimir Poutine présente comme seule héritière de la civilisation chrétienne, alors que « En réalité, l’Église est à bout de souffle et exsangue. Les paroisses ouvertes dans la précipitation au cours des années 1990 comptent davantage de badauds que de véritables paroissiens »36. Ce qui n’empêche pas son patriarche Cyrille Ier, ancien agent du KGB, dont la fortune est estimée à 1,5 milliard de dollars37 de voir en lui « un miracle divin ». Comme à l’époque de Staline. Staline, que Poutine réhabilite comme vrai vainqueur de la barbarie nazie, oubliant entre autre le pacte de non agression et de partage de l’Europe de l’Est signé avec Hitler. Le maître du Kremlin qui met lui-même en scène un culte de la personnalité d’homme fort qui plaît tant y compris à des hommes et des femmes politiques en France.

III.3.3Une infiltration européenne à contrecarrer puissamment en réaffirmant nos valeurs

Beaucoup de personnalités, politiques essentiellement, peuvent d’ailleurs servir de relais à une entreprise russe d’influence déstabilisatrice, dans notre pays comme en Europe. Repérée depuis 2008 par les services de renseignements français :« L’objectif de cette guerre d’influence […] est de créer un lobby, de diviser les opinions publiques, mais aussi les pays européens entre eux, en misant sur les mouvements souverainistes de droite comme de gauche ».38 Marine le Pen sera la seule responsable de parti à reconnaître publiquement en mars 2014 le résultat du vote consacrant l’annexion de la Crimée à la Russie. Le 31 mai de la même année, à Vienne, une réunion sera organisée par l’oligarque proche de Vladimir Poutine, Constantin Malofeev rassemblant des nationalistes russes et des responsables de partis d’extrême droite européens (Front National représenté par le conseiller « affaires étrangères » de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, FPÖ en Autriche et le parti bulgare Atakla). Le thème avait pour titre «l’avenir des valeurs fondamentales de la civilisation chrétienne en Europe, comme la famille». Le FN recevra ensuite un prêt de neuf millions d’euros d’une banque proche du Kremlin39. Comment s’étonner entre autre que les représentants du FN mais aussi François Fillon par voie parlementaire aient pu obtenir que soit votée – à 55 voix contre 44 – une résolution, non coercitive mais symbolique tout de même, visant à lever les sanctions européennes contre la Russie, ou bien fustigent l’État français de ne pas avoir vendu les mistrals à l’armée russe. Enfin, l’intrusion russe perce à travers la création le 29 janvier 2015 du site Sputnik, véritable propagande pro-poutine, anti américaine et anti-européenne40.

Il manque sûrement une réseau d’information indépendant en langue russe destiné à tous les russophones, et principalement ceux qui vivent dans les anciens pays satellites de l’U.R.S.S, pour contribuer à contrecarrer la voix du Kremlin. Plus largement il nous faut nous inscrire dans une politique d’affirmation des valeurs démocratiques et humanistes européennes défendues ici. Cela ne passe par une politique culturelle clandestine comme les américains s’y sont adonnés à la barde des artistes et des intellectuels européens à travers le Congrès pour la liberté de la culture de 1950 à 1967 dont « le résultat fut un réseau remarquablement serré de gens qui travaillaient aux côtés de l’Agence – la CIA – pour promouvoir l’idée que le monde avait besoin d’une pax americana, d’un nouvel âge des lumières qui serait appelé le Siècle américain »41. Cette politique culturelle anti-communiste de type impérialiste ne correspond pas ni au projet européen ni à la situation du monde actuel. Pour autant la voix européenne doit se faire entendre dans un monde qu’elle souhaite paisible avec des moyens conséquents prenant en particulier appui sur une diplomatie active. Le réseau diplomatique français, deuxième au monde, devrait être mieux mis à contribution dans ce domaine, au même titre que des investissements doivent être plus massivement consacrés à l’aide au développement et à l’éducation dans les pays en difficultés, mais aux ressources convoitées par des pays prédateurs qui peuvent difficilement s’enorgueillir de leur préoccupation pour les droits humains. Plus sûrement encore l’UE doit affirmer sa volonté de lutter contre les réseaux d’influence et condamner les positions pro-russes des responsables extrémistes européens, ou des attitudes trop conciliantes – sous couvert de pragmatisme et de défense des intérêts des chrétien orthodoxes – adoptées vis-vis du chef du Kremlin par des hauts responsables politiques, en particulier à droite. Quand ce n’est pas un parterre de stars françaises et internationales qui semblent s’esbaudir, comme Gérard Depardieu, aux quelques notes de piano puis au chant du Tsar d’un soir, au demeurant premier ministre russe à l’époque, qui se plaît à donner du « I found my thrill on blueberry hill » pour un concert de charité42 en 2010. Il semble qu’aujourd’hui, Vladimir Poutine trouve davantage le frisson dans le rapport de force et la politique violente du fait accompli plutôt que dans « la douce mélodie de l’amour » que jouait « le vent dans le saule » dans la chanson immortalisée par Fats Domino.

III.4.Lutter contre la pression sur l’Europe et le double jeu que M. Erdogan exerce

Il obtiendra 6 milliards d’euros d’aide d’ici 2018 pour l’accueil des réfugiés, qui sont près de deux millions, et exige des exemptions de visas pour ses ressortissants dans l’espace Schengen, sans qu’il y ait un lien quelconque entre les deux sujets. Un vrai chantage. Le Liban qui accueille plus d’un million de réfugiés syriens (sans compter les 450 000 réfugiés palestiniens), soit la moitié de ce que la Turquie accueille, n’a pas de telles exigences. D’autre part M. Erdogan est moins préoccupé par daech, qui a commis des attentats sur son sol, que par les combattants Kurdes en Syrie affiliés au PKK43 qu’il considère comme des terroristes plus nuisibles à la Turquie que daech à qui il a fait d’ailleurs profiter de la porosité de sa frontière au début du « califat ». Il décide d’entrer en Syrie le 24 août 2016 pour empêcher une jonction de toutes les forces kurdes, à la frontière sud de son pays.

Dans son pays le président fait preuve d’autoritarisme. Face au mouvement Güleniste qui a fait l’objet de purges massives dans tous les secteurs de l’État44 après un putsch raté dont il accuse le fondateur du mouvement d’être à l’origine. Face à la laïcité héritée du Kémalisme qu’il remet en cause radicalement et de manière agressive depuis au moins 1998 où il fut condamné à une peine de prison pour incitation à la haine alors qu’il avait repris les propos suivants « Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats »45. Face aux droits de l’homme en acceptant l’éventualité de réintroduire la peine de mort. Autoritarisme doublé de populisme lorsqu’il déclare : «Quand je défie le monde entier – lorsque c’est nécessaire – je sais que j’ai la Turquie entière derrière moi» 46. Dans le conflit qui se joue à ses frontières, Erdogan voudrait sans doute aussi tirer son épingle du jeu en devenant un acteur majeur et prendre le leadership régional face à l’Arabie ou à l’Iran quitte à éloigner son pays de l’Europe.

La volonté farouche de M. Erdogan d’accaparer les pleins pouvoirs tout en bafouant régulièrement les droits de l’homme, et la liberté de la presse en Turquie, sa politique défiante sur la scène internationale ne sont donc pas de nature à enjoliver l’avenir des relations de son pays avec la France et l’Union Européenne. La Turquie est pourtant un allié de l’OTAN – pour combien de temps ? – aux côtés des américains47 qui en ont fait une pièce maîtresse de la défense de l’Europe du sud et de l’accès à la Méditerranée et un allié des européens dont la France. Ce double jeu, l’alliance avec OTAN, les pourparlers d’adhésion à l’UE, l’accord sur les migrants d’un côté, et le développement de l’autoritarisme, de l’islamisme et d’une alliance avec Moscou de l’autre obligent l’Europe à la plus grande vigilance auprès d’un allié qui par le passé, depuis 1952 tout de même, a pu montré sa fidélité mais dont la politique intérieure et extérieure au proche-orient est source d’incertitudes et lourde de facteurs déstabilisants.

La critiquable stratégie américaine en Irak et en Syrie, la présence dans l’OTAN d’une Turquie autocratique réconciliée avec des russes menaçants, les veto russes et chinois au conseil de sécurité des Nations Unis bloquant toute résolution favorable à l’aide à la rébellion, voulue en particulier par les européens, et plus encore l’aide militaire russe au régime de Bachar el Assad qui se transforme de plus en plus en prise en charge directe par l’armée russe de la défense du régime syrien, devenu vassal de Moscou, ne sont donc pas sans poser un problème d’indépendance pour la défense et de la sécurité de la France, de l’Union européenne et plus largement de l’espace économique européen (EEE) 48.

III.5.Vers une diplomatie et un défense européenne communes dans la zone euro.

III.5.1L’urgence de l’intégration des moyens de sécurité et de défense

Les moyens de l’indépendance de cette défense et de cette sécurité devront certainement être adossés à une diplomatie commune. L’Europe est perçue par ceux qui veulent porter atteinte à ses intérêts, comme une entité homogène. Et c’est en tant qu’entité homogène que l’Europe réussira plus sûrement à les défendre et à se protéger. Aucun pays seul ne peut prétendre en Europe avoir tous les moyens à sa disposition pour affronter efficacement toutes les formes de conflits car « le problème majeur du rendement global de l’appareil de défense européen tient à sa fragmentation. Et le seul moyen d’y remédier est une plus grande intégration des forces européennes »49 . Si le rapport de force est amené à devenir plus important sur le plan international, alors une plus forte intégration de nos moyens diplomatiques, de défense et de sécurité n’en est que plus urgent. C’est naturellement avec les pays de la zone euro où le partage de souveraineté est le plus fort parmi les pays d’Europe, qu’il faut construire cette intégration. Le Brexit a ouvert une possibilité de concrétiser ce projet bloqué jusqu’à présent par le Royaume-Uni qui ne concevait la défense de l’Europe que dans le cadre de l’OTAN. Ceci nécessitera, des investissements conséquents en matière de défense et de sécurité impliquant également les autres partenaires de l’UE. Celle-ci a de nombreux atouts pour y parvenir. L’UE fait jeu égal avec les USA et la Chine en terme de PIB ou de commerce international. Plus de cinq cent millions de personnes y vivent50 L’Euro représente la deuxième monnaie de réserve au monde. Elle a encore d’autres atouts mondiaux. Cet espace, l’UE et plus largement l’EEE a donc les moyens d’investir dans sa défense à la hauteur des enjeux.

III.5.2Rattraper le retard budgétaire, rééquilibrer le rapport UE-OTAN.

Elle peut déjà commencer à rattraper son retard : déjà les pays européens au sein de l’OTAN ne consacrent que 1,43 % de leur PIB à leur défense, contre 3,37 % pour les américains51, alors que les accords entre pays membres les ont fixé en 2014 à 2 %52 et 20 % de leur budget de défense à l’équipement. L’Allemagne en particulier n’a pas pris de décision pour le combler rapidement : « le gouvernement allemand s’est engagé à porter son budget de la défense de 33 milliards d’euros à 39 milliards en 2020 pour atteindre au moins 1,5 % du PIB »53 alors qu’il atteint à peine 1,20 % en 2015. Cette année là, la France n’était pas trop loin d’y satisfaire avec 1,80 %, le Royaume Uni l’atteignait avec 2,09 %54. Atteindre ces objectifs est d’autant plus nécessaire que « dans bien des cas, il s’agit surtout de moderniser les capacités aujourd’hui vieillissantes, en veillant à ce que les nouveaux systèmes d’armes répondent bien aux logiques actuelles. Pis, l’inflation du coût des matériels pourrait même entraîner une réduction des capacités si les investissements sont insuffisants »55.

La défense a un prix. Il semble que les européens ont trop longtemps compté sur l’appui américain au sein de l’OTAN pour s’en acquitter. Lors de son soixantième sommet, le président Obama l’a d’ailleurs rappeler en demandant plus d’engagements financiers aux États membres, qui s’y étaient d’ailleurs engagés en 2014. Mais cet appui risque bien d’être plus faible, l’actuel président américain Trump considérant l’OTAN comme une survivance obsolète de la guerre froide. Son argument s’ajoute à ceux déployés par la précédente administration qui a décidé de basculer davantage ses efforts vers l’Asie, et cela d’autant plus qu’elle ne veut ni ne peut plus assumer seule le rôle de gendarme de la planète. Il n’empêche, la défense européenne passe encore par la prépondérance des États-Unis dans l’OTAN qui contribueraient toujours à hauteur de 69 % des dépenses et 68 % des dépenses d’équipement si les autres membres atteignaient les objectifs rappelés plus haut.

Aujourd’hui la confiance que nous pouvons avoir dans notre culture – l’expression de la liberté d’aimer, de savoir et de faire – dans la paix que nous avons construite depuis plus de soixante-dix ans en Europe, dans notre puissance économique et dans la solidité de nos institutions devrait nous inciter, face aux défis qui nous attendent, à nous unir davantage pour notre défense et notre sécurité.

Le choix est donc dans la recherche de l’autonomisation croissante de notre sécurité et de notre défense, dans le partenariat équilibré et efficace OTAN-UE, et UE- Royaume-Uni en traitant avec prudence l’épineux problème que représente la Turquie, membre de l’OTAN, en conflit avec la Grèce sur la question du partage de Chypre, et membre associé de l’Eurocorps56.

III.5.3La nécessaire relance franco-allemande

Le Brexit et l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche sont des arguments fondamentaux justifiant que la France et l’Allemagne relancent l’initiative d’une Europe de la défense avec les autres partenaires de l’UE. Le 27 juin , quatre jours après le vote britannique, Angela Merkel, François Hollande et Matteo Renzi ont fait une déclaration dans laquelle ils affirment : « Nous nous montrerons à la hauteur de nos responsabilités si nous développons notre défense européenne et prenons les engagements nécessaires pour nos opérations conjointes, ainsi que pour nos capacités et notre industrie militaires. Le potentiel d’une véritable politique étrangère, de sécurité et de défense commune n’a pas encore été pleinement exploité. »57 Le 11 septembre 2016 les ministres de la défense français et allemand rendent un rapport à la responsable Européenne de la diplomatie. Le sommet des Bratislava des 27 pays de l’UE le 16 septembre dernier, reprend les conclusions de ce rapport, en particulier l’objectif de « renforcer la coopération de l’UE en matière de sécurité extérieure et de défense » . Déjà se trouve sur la table l’utilisation des articles 42 et 43 du traité de Lisbonne permettant le recours à la coopération structurée permanente (CSP) qui portera sur les aspects d’ordre opérationnel, capacitaire et industriel. Dans l’article 42 , il est dit  : « La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi ». Plusieurs questions vont être étudiées et validée. Il s’agit :

  • de rendre plus rapide et plus efficace le déploiement des missions et opérations européennes, en ayant recours à l’Eurocorps a qui revient l’organisation d’une intervention de l’UE. Cela concernerait la mise en œuvre des Groupes Tactiques de 1 500 hommes qui n’ont pas été utilisés à ce jour58.

  • d’améliorer la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) au moyen d’un commandement médical européen pour développer l’interopérabilité des différents services de santé, ainsi qu’une plate-forme logistique mutualisant les capacités de transport stratégique (air/ terre/mer)

  • d’un partage accru de l’imagerie satellitaire

  • d’un renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne (BI-TDE) afin d’éviter au maximum que des partenaires européens n’achètent à l’étranger – principalement aux États-Unis-. Ce renforcement  porte sur le ravitaillement en vol, la communication satellitaire – fonctions militaires du système de géolocalisation Galileo auquel Londres s’est toujours opposé -, la cybersécurité, le drone MALE (Moyenne altitude et longue endurance)

  • du renforcement du rôle et du budget de l’Agence Européenne de Défense (AED) que le Royaume-Uni évitait systématiquement

  • de la mise en place d’un QG européen à horizon 2017-2018.

Plus que jamais la nature de la relation franco-allemande déterminera la capacité de défense de l’Europe dans le monde et notre capacité à agir selon nos principes. Sortir de l’euro serait un signal contradictoire avec le nécessaire partage de souveraineté que représentent une sécurité et une défense communes.

1Paul Valéry. La lettre de l’esprit. 1919

2Au sens donné par l’essayiste Samuel Huntington dans son ouvrage éponyme en 1997.

3in « L’Orientalisme » l’orient créé par l’occident. Edward W . Saïd. Préface de 2003. Ed. Seuil. p IX.

4Je mets ce mot en italique car le sens du terme Jihad n’est pas univoque : les auteurs d’attentats et les soldats de daech en adoptant une version par les armes.

5In « Les nouveaux penseurs de l’Islam » Rachid Benzine. Ed. Albin Michel. 2004. p23

6In « Quel Islam ? » de Jacques Berque. Ed. Sinbad Actes Sud. 2003 ; p 23

7ib. p 38

8 Titre emprunté à l’ouvrage « Dr. Saoud et Mr. Djihad » de Pierre Conesa. Préface d’Hubert Vedrine. Ed. Robert Laffont. Septembre 2016. p 97 . Cet ouvrage sert de référence aux faits rapportés dans ce présent appel

9ib. p 66

10ib. p 91

11Ib p 95

12Ib p 95

13L’université islamique de la Mecque recevait 15 000 étudiants en 2002. ib p 94. Celle de Médine a formé plus de 45 000 cadres depuis sa création. (p 119). Les boursiers étrangers représentent environ 25 000 étudiants passés par les universités islamiques. (p 120). A Médine, lorsqu’ils arrivent les étudiants reçoivent entre autre « un montant mensuel [de l’ordre de 500 à 900 dollars ndlr] tout au long de leurs études ». Les études terminées l’étudiant doit impérativement retourner dans son pays. « avec parfois un salaire garanti par le Royaume » (p 120).

14Ib p 96

15Ib p 100

16Le Monde avec AFP 04.07.2008.

17Ib p 112

18Ib p 117

19Ib p 122

20Ib p 123

21In « Le Coran, essai de traduction ». Jacques Berque. Ed. Albin Michel. 2002. P 118

22« Allez louez Yah, Allez louez Dieu […] Louez-le au son du shofar, Louez-le avec le nével et le kinnor Louez-le avec les tambours et les danses Louez-le avec les cordes et les cuivres Ah louez-le avec les cymbales qui résonnent Louez-le avec les cymbales qui retentissent […]. » in « La Bible: Nouvelle traduction » de Bayard Presse 2001. p 1447

23In « Irak la revanche de l’histoire ». Myriam Benraad. Ed. Vendémiaire 2015. p 67

24Enquête de l’ONU publiée en août 2016 et portant sur la période 2014-2015.

25« les activistes djihadistes ne se livrent pas directement à la production ou à la distribution de drogues, mais assurent seulement la « protection » des trafiquants. Cette pirouette sémantique leur permet d’affirmer qu’ils ne touchent pas directement à la drogue » voir le site du Centre Français de Recherche sur le Renseignement

26Le gouvernement irakien a continué à payer ses fonctionnaires sous domination de daech encore en 2015 ! Le Monde 19 -11-2015.

27Le Canard enchaîné . N° 5006. 5 octobre 2016. p 3

28In DSI Hors Série n° 49. p 36. Philippe Langloit. Chargé de recherche au Centre d’analyse et de prévision des risques internationaux (CAPRI)

29Appelé dans le jargon militaire A2/AD pour Anti access / Area denial.

30Le Monde.fr. 13-11-2016. « En Moldavie, le candidat pro russe remporte l’élection présidentielle ». Benoit Vitkine

31Le Monde. fr. 13-07-206 « L’Allemagne s’engage à devenir un partenaire militaire plus actif »F. Lemaître. N. Guibert

32In « La Russie sous Poutine » Jean -Jacques Marie . Ed. Payot p 165.

33Ib p 167

34In Le Monde « En Russie, les malades du cancer préfèrent mourir » 19-10-2016

35Ib. p 241

36 extrait d’un article du Courrier international 12-18 février 2009 cité par Jean-Jacques Marie op. Cit. p 104

37ib. p 99

38in « La France russe » de Nicolas Hénin. Ed. Fayard. 2016. p, 169

39First Czech Russian Bank (FCRB) petite banque « commerciale » détenue par Gazprom dont l’actionnaire principal est l’État russe. Ce prêt fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire.

40« Dernier né du dispositif du Kremlin, le site d’information Sputnik comprend notamment le service en langues étrangères de l’agence de presse publique Ria-Novosti et la radio à destination de l’étranger Voix de Russie. Ces deux entités ont été réunies en décembre au sein d’une nouvelle agence Rossia Segodnia (Russie d’Aujourd’hui) » lisible sur le site d’Euractiv. Le site Sputnik dédramatise les survols en parlant de routine pour tester la réactivité européenne.

41In «  Qui mène la danse ? » La CIA et la guerre froide culturelle. Frances Stonor Saunders. Ed. Denoël Impacts. 2003 p. 14

42https://www.youtube.com/watch?v=IV4IjHz2yIo

43Parti des Travailleurs du Kurdistan, séparatiste et considéré comme terroriste par les États-Unis et l’Union européenne en particulier.

44« La Turquie a suspendu ou licencié 81 494 fonctionnaires, dont plus de 3000 soldats, depuis la tentative échouée de coup d’État le mois dernier, a affirmé le Premier ministre Binali Yildirim » , selon CNN Turk. Au 16 août 2016. 21 000 enseignants ont également perdu leur licence.

45Propos provenant d’un théoricien du nationalisme turc Zia Gokalp (1876-1924)

46 6 mai 2016.

47Les USA versent « une aide financière gracieuse en matière de sécurité, laquelle varie entre 3 et 5 milliards de dollars ». Le Canard enchaîné numéro du 7 septembre 2016 p 3.

48Les membres de l’UE avec l’Islande, la Norvège et le Lichtenstein

49In DSI Hors Série n° 49 p 24. Frederic Mauro , avocat spécialisé dans les questions de défense.

50En attendant que le Royaume-Uni ne soit plus membre officiellement, le « Brexit » étant un référendum consultatif

51Site de l’OTAN : http://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/pdf_2016_01/20160129_160128-pr-2016-11-fre.pdf#page=3

52Site de l’OTAN : http://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_112964.htm

53In DSI p 89

54source OTAN juillet 2016

55In DSI Hors Série n° 49. p 8. Joseph Henrottin chargé de recherche au (CAPRI).

56Corps d’armée européen composé de six nations cadres : L’Allemagne, La Belgique, La France, l’Italie, le Luxembourg, la Finlande et la Pologne.

57www.france-allemagne.fr

58Les GT-1 500 ou battlegroups ont été créés en 1999 lors du Conseil européen d’Helsinki. C’est un groupe minimal de forces militaires « crédible et cohérent, déployable rapidement, capable de mener des opérations autonomes ou d’assurer la phase initiale d’opérations de plus grande envergure ».