Polémique sur la présence du drapeau européen à l’Assemblée nationale : M. Mélenchon manque d’honnêteté intellectuelle et choisit de renforcer le clivage identitaire, il opére une série de réductions qui loin d’enrichir le débat lui nuit.

M. Mélenchon estime que le drapeau à douze étoiles à cinq branches, de type pentagramme, de couleur jaune d’or rigoureusement proportionnées et réparties, disposées en cercle sur un rectangle également rigoureusement proportionné et de couleur bleu azur n’a pas sa place à l’Assemblée nationale car il est selon lui un « emblème européen confessionnel »1. Il parle de simple exigence laïque à « l’heure où plus que jamais religion et politique doivent être séparés ».

Ce faisant il conforte ceux qui veulent voir dans ce drapeau un sens Marial et renforce ceux qui pensent que l’Europe est chrétienne et veulent, pour cette raison, la défendre ou au contraire l’attaquer.

De plus, il donne des clés de lecture qui sont incomplètes, ce qui n’est pas intellectuellement très honnête. Car M. Mélenchon ne s’offusque pas que les étoiles sous forme de pentagramme fassent aussi potentiellement référence à l’étoile flamboyante, signe traditionnel utilisé par la franc-maçonnerie. On les retrouve en particulier disposées en cercles concentriques sur un fond bleu comme l’atteste la décoration du plafond du grand temple de la Grande loge unie d’Angleterre ou encore dans le collier de son grand Maître2. Après tout rien n’empêche un catholique de considérer les douze étoiles du drapeau de l’UE comme un signe marial puisque ce signe est associé à la figure de la vierge dans l’iconographie et dans l’exégèse qui en est faite, mais rien n’empêche non plus un franc maçon d’y voir des signes de sa confrérie, qu’il peut avoir dans son Temple ou porter comme accessoire. Ni non plus à un simple citoyen européen d’y voir le symbole qu’il veut ou celui qui a été officiellement et clairement expliqué.

Au contraire il faudrait davantage faire ressortir la valeur universelle de ces symboles, indépendamment des religions, des courants mystiques et spirituels qui les ont adaptés à leurs représentations du monde. Ce serait une contribution saine au dialogue nécessaire des cultures et du rapprochement entre les Peuples, précisément ce que les institutions européennes ont mission d’accomplir, et que tout homme politique démocrate et républicain devrait avoir à cœur de faire.

Ses propos ne font qu’alimenter les clivages, remuer de vieilles querelles opposant religion et État et sont aux antipodes de ceux, pédagogiques, alliant simplicité du discours, références culturelles et honnêteté intellectuelle, qui doivent contribuer positivement au débat, de nos jours incontournable, de la place du religieux et du spirituel dans la société.

Qu’écrit et dit M. Mélenchon, que disent en écho les représentants de son parti ?

Sur son blog à l’adresse du Président de la République, on peut lire : « Monsieur le Président, vous n’avez pas le droit d’imposer à la France un emblème européen confessionnel. Il n’est pas le sien et la France a voté contre son adoption sans ambiguïté. Je rappelle que notre opposition a cet emblème ne tient pas au fait qu’il prétend être celui de l’Europe, mais parce qu’il exprime une vision confessionnelle de l’Union, et cela à l’heure où plus que jamais religion et politique doivent être séparées. Le refus du traité constitutionnel de 2005, dans lequel cet emblème était proposé, vaut décision du peuple français sur le sujet. La décision du vote du congrès du Parlement sur le traité de Lisbonne, qui ne le mentionnait pas après que le président Sarkozy l’ait officiellement retiré, vaut décision du Parlement. La Constitution française prévoit que le drapeau tricolore est notre emblème national et n’en envisage aucun autre. La déclaration annexe au traité de Lisbonne, par laquelle seize États ont proclamé cet emblème, ne peut être signée par vous sans vote ni accord du Parlement français. La Constitution et le simple souci de la démocratie, autant que l’attachement à la plus simple exigence laïque, ne le permettent pas. » Par ailleurs lors de son entrée à l’Assemblée nationale le député s’était écrié « Eh, franchement, on est obligé de supporter ça ? Non mais attends, c’est la République française ici, c’est pas la Vierge Marie ! Je ne comprends pas, ce truc est pas constitutionnel ». Ce qui fait deux arguments, l’un juridique, l’autre symbolique.

Un troisième argument politico-administratif, émis après coup par la France insoumise consiste à affirmer que ce drapeau est le symbole de la politique d’austérité de l’UE, de la perte de souveraineté et de démocratie au profit de la technocratie administrative. Ne voir dans le drapeau que l’emblème de l’austérité de la politique de la commission procède d’une réduction, consistant à assimiler la personne morale UE à la politique menée par un de ses organes de pouvoir. Comme si le drapeau était le symbole de la politique menée, et non celui de la vision fondamentale du projet européen contenue dans les traités. C’est confondre la fin avec les moyens.

Plusieurs remarques s’imposent à propos des termes employés ici, qui méritent d’être clarifiés, des arguments juridiques utilisés, qui méritent d’être précisés, et du procès pour confessionnalisme qui reste à instruire.

Les termes :

Tout d’abord M. Mélenchon utilise les termes « emblème européen », « Europe » puis « Union »,

et fait référence à l’UE au travers du référendum pour le traité constitutionnel et du traité de Lisbonne. Tout ceci, et le rappel à la deuxième phrase du vote français défavorable au traité constitutionnel en 2005, incite à penser qu’il faut comprendre que ces termes renvoient à la seule UE. Or historiquement cet emblème est d’abord celui du Conseil de l’Europe, dont la France est bien entendu membre. A moins de jouer sur les mots « emblème européen » pour renvoyer à la fois à l’UE et au Conseil de l’Europe qui n’est pas cité, la suite du propos peut être compris sans ambiguïté, il renvoie à l’UE. La FI au travers de son chef opère une autre réduction, celle de l’emblème à la seule UE alors qu’il est aussi celui du Conseil de l’Europe. Celui-ci ne compte pas pour rien. Il a pour chevilles ouvrières la Convention européenne des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme. Il rassemble quarante-sept membres, dont la Turquie et la Russie (le Royaume-Uni post Brexit n’ayant pas dénoncé les accords de Londres qui lui avait donné naissance en 1949). Il promeut la démocratie, la paix et la prééminence du droit.

Les arguments juridiques :

Ensuite M. Mélenchon souligne un point important, celui des prérogatives du chef de l’État pour faire adopter ce drapeau. Le rejet du traité en 2005 ne permet pas de cadrer légalement l’utilisation de cet emblème, comme emblème de l’UE. M. Mélenchon a donc raison de souligner l’importance du processus démocratique pour l’adoption et l’usage des emblèmes, quels qu’ils soient d’ailleurs. Le président aurait pu confirmer par le vote d’un parlement acquis à sa cause l’adoption officielle des emblèmes de l’UE. C’était une occasion à prendre en début de mandat, surtout après le recours à l’hymne à la Joie lors sa cérémonie de victoire au Louvre. Ces symboles en valent la peine. Pour autant, « Une circulaire de 1963 précise simplement qu’on ne peut pas le sortir les jours de commémoration nationale, et le reste du temps il doit être placé, à la droite du drapeau tricolore, auquel revient la place d’honneur, son pavoisement au fronton des institutions relève du libre choix. Maintenant, sa présence n’est pas non plus interdite. »3 Un vote du bureau de l’Assemblée National daté de 2002, a permis de l’introduire dans l’hémicycle. Il pourrait tout aussi bien le retirer.

Le faux-procès pour confessionnalisme.

Enfin M. Mélenchon emploie le qualificatif « confessionnel », livrant une interprétation personnelle, certes tout à fait légitime, mais qui n’est pas un terme explicitement utilisé par les promoteurs de cet emblème ni de ceux des représentants qui l’avaient plébiscités à l’unanimité lors de son adoption. Y voir un sens caché confessionnel ne résiste pas non plus au fait que, nous le verrons plus bas, les symboles utilisés dans le drapeau débordent largement de la sphère du Catholicisme tant ils sont universellement répandus et ce, depuis plusieurs milliers d’années.

Voyons maintenant ce qu’il en est de la genèse du drapeau et ensuite de l’universalité des symboles

  • L’adoption d’un même drapeau pour deux organismes intergouvernementaux distincts : celui du Conseil de l’Europe puis celui de l’UE

Le 25 octobre 1955, l’Assemblée européenne adopte à l’unanimité le drapeau qui constituera l’emblème du Conseil de l’Europe. Le 8 décembre le Comité des ministres du Conseil de l’Europe l’adopte à son tour. Inauguré le 13 décembre par le ministre irlandais des affaires étrangères qui présidait le comité des ministres, il est hissé alors pour la première fois sur le mât de la Maison de l’Europe à Strasbourg. Il sera plus tard adopté par la Communauté Économique Européenne, qui se transformera en UE laquelle conservera le drapeau en l’état. Le Conseil de l’Europe l’a conservé également.  Ce drapeau est donc l’emblème de deux entités juridiques distinctes, le Conseil de l’Europe et l’Union Européenne.

Une centaine de projets avaient été déposés à la commission chargée de proposer un emblème. Douze ont été retenus auquel s’ajouta celui de don Salvador de Madariaga (des étoiles d’or disposées comme les capitales des États membres avec une, plus grosse, placée à l’endroit où se situe Strasbourg) qui finalement écarté car jugé trop complexe à réaliser. Le consensus se fit autour de quinze étoiles d’or disposées en cercle sur un fond bleu azur, quinze étant le nombre d’états adhérents. L’Allemagne ne reconnaissant pas la Sarre comme État mis son veto au projet. Par la suite un comité ad hoc composé de six personnes (trois représentants de l’Assemblée européenne et trois héraldistes désignés par les États membres) proposa de remplacer les étoiles en cercle par huit anneaux d’or entrelacés se jouxtant. Donnant envie de composer un numéro de téléphone selon certains, le projet fut retoqué au profit d’un retour des étoiles cette fois ci au nombre de douze en donnant à ce nombre « un sens purement symbolique de peuples »4 C’est ce projet qui fut adopté par le Comité des ministres. Liam Cosgrave, président irlandais du conseil des ministres des affaires étrangères prononça les paroles suivantes à propos du nombre douze : « Douze est le symbole de la perfection et de la plénitude, comme l’union de nos peuples devrait être ». Rien n’est en revanche exprimé sur le sens symbolique du pentagramme comme forme des étoiles, ni sur les proportions du rectangle du drapeau, de la taille des étoiles et de leur positionnement. Pourtant les rapports utilisés, renvoient à une symbolique puissante.

Deux personnes apparaissent aussi dans la genèse du drapeau. Paul Michel Gabriel Lévy serait à l’origine de la suggestion de diminuer ce nombre à douze. La biographie de M. Lévy est intéressante pour l’interprétation que l’on peut faire, de manière simpliste, de l’origine confessionnelle du drapeau : d’origine juive, converti au catholicisme, il fut professeur à l’université catholique de Louvain, il était à l’époque membre du secrétariat Général du conseil de l’Europe et fit une proposition sur la base du blason de Strasbourg. Arsene Heitz peintre travaillant au conseil de l’Europe participe à l’appel lancé pour créer le fameux drapeau. Il a confié s’être inspiré de la médaille miraculeuse qu’une novice de 24 ans, Catherine Labouré aurait eu pour mission de faire graver après une vision de la vierge qu’elle aurait eue. Robert Bichet, vice- président de l’Assemblée européenne également membre et rapporteur de la « Commission du règlement et des prérogatives » à qui incombait la responsabilité de superviser le travail de définition de l’emblème souhaité par l’Assemblée, puis président du « Comité ad hoc pour un emblème européen » ne cite M. Lévy que marginalement et M. Heitz d’aucune manière. Soulignons pour finir que parmi les projets proposés, l’un contenait une croix. Les délégués turcs l’ont refusé, car trop lié au christianisme. Mais ils ne se sont pas opposés à la version finale, unanimement adoptée, y compris donc par les représentants turcs.

  • L’universalité des symboles

Tout d’abord, pourquoi M. Mélenchon voit-il un signe Marial dans ces douze étoiles et pas autre chose ? On sait que, dans l’Apocalypse de Jean (12-1), une femme est décrite ceinte d’une couronne de douze étoiles (sans précision quant à la couleur), et s’interprète comme la Vierge Marie. Notons que dans le drapeau de l’UE, personne n’est ceint d’une couronne, et qu’un cercle formé d’étoiles ne constitue pas une couronne. Dans le christianisme, mais pas seulement, représenter une personne couronnée ou auréolée confère à celle-ci sa dimension céleste ou divine. Dans le drapeau du Conseil de l’Europe et de l’UE, le sens donné au cercle d’étoiles seul est celui de perfection, de plénitude et d’union des peuples (voir le discours d’inauguration du drapeau)? D’autre part, ce cercle d’étoiles n’est pas un symbole marial, il a une signification autonome qui, associée à la personne de la vierge, signifie quelque chose d’un point de vue théologique. Récemment le Pape Benoît XVI a précisé que la couronne d’étoiles « représente les douze tribus d’Israël et montre que Marie est au cœur du peuple de Dieu et de la communion des saints »5 Les douze étoiles ne sont donc pas un symbole marial en tant que tel, mais un symbole utilisé pour placer la figure de la vierge dans l’héritage biblique que les chrétiens croient poursuivre à travers le Christ et les figures qui lui sont rattachées. Il n’est un symbole marial qu’en cela qu’il est associé à la vierge explicitement et avec d’autres attributs. C’est lorsqu’ils sont commentés et expliqués que les symboles acquièrent leur sens. Ainsi, si les Chrétiens se sont appropriés des symboles préexistants, cela ne signifie nullement qu’ils leur appartiennent, ni que personne ne peut se les approprier pour en dire d’autres choses et les associer librement.

Les autres symboles de drapeau ont été explicités de la manière suivante par leurs concepteurs : l’or symbole de paix, le bleu celui de la souveraineté, « Les étoiles symbolisent les idéaux d’unité, de solidarité et d’harmonie entre les peuples d’Europe »6.

Qui peut s’arroger le monopole des symboles, surtout des symboles aussi universels que l’or, le cercle, les étoiles à cinq branches et le nombre douze ? A vrai dire personne puisque ces symboles sont les plus répandus dans le monde et bien avant l’émergence du Christianisme. Petite revue non exhaustive de l’universalité des symboles contenus dans le drapeau en dehors du christianisme :

  • l’or : symbole solaire chez les Égyptiens et les grecs, du renouveau périodique de la nature chez les Aztèques ; il est lié au feu céleste et au feu des entrailles terrestres dans les légendes de l’Oural, il est signe de l’illumination de Bouddha, de l’illumination et de la purification chez les Bambaras. Signe d’immortalité pour les grecs et les Brahmana. Faucille en or, arme de lumière, utilisée par les druides pour couper le gui. Métal royal dans toute l’Afrique occidentale. En Haïti, l’or de Danballa lie la richesse matérielle à la richesse spirituelle.

  • le cercle : symbole du cycle du mouvement céleste du zodiaque chez les grecs, disposition en cercle des Aditya hindous, principe structurel des mandalas, représentation circulaire des principes Yin et Yang, disposition des chevaliers de la table ronde, du conseil du Dalaï-lama , « forme habituelle des sanctuaires des peuples nomades »7, disposition concentriques des mégalithes néolithiques de Stonehenge. Fonction et valeur magique dans le monde celtique : disposition de douze pierres en cercle autour de la grande idole d’Irlande, temples gallo-romains circulaires inscrits dans un carré, Vercingétorix décrivant à cheval un cercle autour de César lors de sa reddition. Mesure du temps chez les babyloniens, le cercle désigne l’univers, le cosmos, il est signe du cycle d’évolution représenté par le serpent qui se mord la queue (ourouboros). Symbole du temps chez les indiens d’Amérique du Nord. Forme considérée comme parfaite selon la tradition islamique, cercle de prière autour de la Ka’ba. Danse circulaire des derviches tourneurs soufis. Image archétypale de la totalité de la psyché chez Jung, et symbole du soi. Symbole de protection exprimé par les bagues, bracelets depuis l’antiquité.

  • L’étoile à cinq branches formant un pentagramme : pour les pythagoriciens, il sert de signe de reconnaissance, il est une des clés de la haute science. Mariage, bonheur, accomplissement , il est symbole de l’idée de parfait chez les anciens, elle contient le nombre d’or, connu aussi sous le nom de divine proportion. Elle est l’étoile flamboyante dans la tradition maçonnique.

  • Le nombre douze : entre autre, les douze tribus d’Israël, les douze apôtres, les douze travaux d’Hercule, les douze mois de l’année, les douze heures du cadran, les douze portes du Palais chinois Ming-t’an, les douze chevaliers de la table ronde et symbole du devenir humain chez les Dogons et les Bambaras.

Précisons le côté harmonieux du drapeau. Ces proportions, la taille, la forme et la disposition ne viennent pas du hasard. Selon la représentation qu’en donne Bichet ci-dessous on peut voir que, outre le nombre d’or précédemment cité, les chiffres 1, 2 et 3 sont essentiels.

  • le rayon R du cercle des étoiles représente 1/3 de la largeur G du drapeau (G pour Guidant)

  • la largeur B du drapeau (B pour Battant) représente 3/2 de G

  • le diamètre des cercles dans lesquels sont inscrites les étoiles représentent 1/3 de R

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1Mélenchon.fr 11 octobre 2017

2In « Histoire générale de la grande loge unie d’Angleterre ». P. Naudon Ed PUF pp 45 et 71.

3« Emmanuel Macron a-t-il le droit d’imposer à la France le drapeau européen ? » émission « Europe matin le vrai-faux de l’info » 13 octobre 2017

4« Le drapeau de l’Europe » de Robert Bichet, rapporteur de la commission traitant du drapeau (1985) p 26

5Dictionnaire encyclopédique de Marie. Philippe Barbarin, Pascal-Raphaël , booksgoolge.fr

6Europa.eu drapeau européen

7Dictionnaire des symboles Ed Bouquins R Laffont p 192

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